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Vectronom et le Chemin de Dieu

·5 mins
Essai

Vers la fin du film Indiana Jones et La Dernière Croisade (1989), le professeur Jones doit surmonter une série d’épreuves pour parvenir au Saint-Graal. La dernière d’entre elles, le Chemin de Dieu, est simple : Indy est face à un ravin, et doit le traverser pour passer de l’autre côté. Pas de pont, pas de corde, pas de paroi praticable… La seule chose qui est demandée est de marcher au-dessus du précipice, et croire.

Indiana Jones et la Drenière Croisade - Lucasfilm

Indiana vient éventuellement à bout de l’épreuve, par une explication rationnelle, et arrive à la salle du Graal. Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse. Qu’il y ait une supercherie ou non, l’épreuve du Chemin de Dieu réside dans le premier pas. Dans cet instant de doute, cette avancée dans le vide, contre laquelle tous nos instincts nous mettent en garde. Le Chemin de Dieu est une épreuve de foi, exigeant le temps d’une seconde d’abandonner la conscience pour faire confiance aveuglément à une route invisible.

Indiana Jones et la Drenière Croisade - Lucasfilm

Dans Vectronom, chaque tableau est un Chemin de Dieu.

Vectronom - Ludopium

Vectronom est un jeu entre rythme et plate-forme, développé par Ludopium et sorti en 2019. Le principe est facile à saisir : vous déplacez un cube sur 4 axes, et devez le faire parvenir à la fin du niveau. Rien de sorcier. Chaque niveau est découpé en tableaux très courts, constitués généralement d’un seul obstacle. La particularité, c’est que les plate-formes et obstacles bougent au rythme de la musique. Vectronom demande de suivre ce rythme pour avancer de manière synchronisée avec l’environnement, et passer de l’autre côté.

Un pont à franchir

Les tout premiers niveaux de Vectronom servent de tutoriel, et sont relativement sans danger. Il suffit généralement de bien se positionner, attendre que la plate-forme apparaisse devant nous, puis avancer. Répétez ensuite à chaque temps. Mais ce confort disparaît vite. Les niveaux suivants introduisent des plate-formes qui ne restent pas assez longtemps en place pour que l’on attende dessus. Des ponts qui se matérialisent le temps d’une croche, pas plus ! Pour les emprunter, il ne faudra pas sauter une fois qu’ils seront là, mais au moment même où ils apparaîtront. Un saut dans le vide, dans l’espoir d’être rattrapé à l’arrivée.

Suivre le chemin en cadence

Plus le jeu avance, plus les chemins deviennent complexes. La plate-forme apparaît dans une direction, puis une autre, puis encore une autre, fait demi tour, attend deux temps, avant de reprendre en avant… C’est une chorégraphie complexe qu’il faut effectuer en rythme pour espérer franchir le niveau. Une chorégraphie que vous apprendrez par cœur, puis exécuterez en boucle, sans réfléchir. C’est tout ce que le jeu vous demande, suivre les pas.

Droite bas gauche droite

Il n’est pas possible de terminer Vectronom en se fiant à ses instincts. Ces instincts de joueur, que vous avez accumulé au fil des expériences, joueront ici contre vous. Votre cerveau refusera que vous sautiez là où il n’y a rien. Il vous demandera de fuir l’obstacle qui s’approche. Vous aurez le réflexe de sauter là où le terrain semble sûr, de vous écartez des pics rouges. Mais c’est ce qui causera votre perte. La vision ne vous est d’aucune utilité ici. Tout ce qui fait foi, c’est la chorégraphie. Vous devez faire confiance uniquement au level-design. Suivez le chemin.

Haut gauche gauche gauche bas gauche gauche gauche

Les débuts de niveau de Vectronom fonctionnent comme des puzzles. Ce sont des moments d’observation et de tâtonnement, pour déterminer l’ordre des directions à suivre. Les mémoriser, les assimiler… Puis laisser la mémoire musculaire faire le reste. Bas, droite, bas, droite, bas, droite… Votre cerveau tourne en automatique. La vraie difficulté réside dans les transitions. Ces changement au milieu de tableaux, où subitement vous devez vous adapter au nouveau motif. Bas, droite, bas, droite, DROITE, haut, droite, haut… Pendant une fraction de seconde, votre cerveau a dû prendre une décision consciente. Faire de nouveau ce premier pas dans le vide, l’anticiper pour qu’il soit fait exactement au bon moment, et rebrancher tous vos muscles pour les adapter à la nouvelle norme. C’est ces instants brefs d’intensité qui rendent l’expérience de Vectronom si captivante.

Changement de pas

Vectronom propose une esthétique psychédélique, faite de formes abstraites et de couleurs saturées et clignotantes. La musique est constituée d’électro chiptune et de techno tonitruante. Couplée aux visuels calqués sur le rythme, le tout forme une expérience sensorielle proche de la transe. Le jeu nous demande d’oublier les plate-formes, oublier le cube, les pics, les directions, l’espace… Il n’y a que des formes qui dansent, des couleurs vibrant avec la musique. Je ne sais pas quel est le consensus sur le flow en 2023, mais Vectronom est définitivement un jeu qui y mène. Vectronom brille le plus dans ses moments de grâce où nous abandonnons notre conscience, où nous ne pensons plus aux boutons que l’on presse, ni aux conséquences de nos actions. Nous sommes là uniquement pour suivre la danse.

Le chemin guide les pas

Vectronom est un jeu difficile, et souvent frustrant. Il est facile de tomber dans la rage en bloquant sur un niveau particulièrement pernicieux. Mais pour vaincre Vectronom, il faut apprendre à surmonter cette colère, et l’oublier. Rester calme, méthodique, pour se synchroniser aux motifs. Oui, derrière ses apparences frénétiques, Vectronom est en réalité un jeu zen. Un jeu nous plongeant dans l’extase de la danse, la plénitude ressentie dans l’instant du mouvement et de la musique. Vectronom est un jeu où l’on se désincarne. Nous ne sommes plus joueur, nous ne sommes plus cube. Nous ne faisons plus qu’un avec le Chemin.


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