Voler est pour moi une des interactions les plus jouissives que peut offrir un jeu. Décoller du sol et prendre de l’altitude, c’est une sensation tout simplement grisante. Dans le jeu-vidéo, il y a des mécaniques magiques qui sont garanties d’être efficaces sur moi, comme le grappin ou la synchronisation musicale… Le vol en fait partie. Voir le monde depuis les cieux, c’est euphorique.
Quelle est la recettes derrière cette magie ? Quels sont les ingrédients permettant d’offrir des sensations de vol parfaites ? Je ne pose pas la question pour le seul plaisir de disséquer froidement du game-design jusqu’à en extraire toute la joie. Non, si je m’interroge sur ce sujet, c’est aussi parce que j’ai envie de comprendre pourquoi il existe un jeu spécifique qui échappe à la règle.
Skyward Sword’s Flight Simulator 2011#
Quelques années après la sortie de Zelda: Skyward Sword sur Wii, Nintendo a publié les concept-art initiaux du jeu. Des illustrations d’îles flottantes reliées les unes aux autres, des architectures grandioses dans les cieux… L’univers que ces images laissent imaginer est captivant. En les découvrant, j’ai rêvé de pouvoir virevolter à dos d’oiseau au milieu de ces décors. Mais pourquoi je n’ai pas ressenti de plaisir en jeu ?
On arrive au moment où je dis encore du mal du pauvre Skyward Sword ! Pourtant esthétiquement, il a tout pour rendre le vol plaisant. Les couleurs du ciel sont magnifiques, le style impressionniste donne aux nuages des airs oniriques, l’architecture des îles fait partie des meilleurs décors du jeu, et la sensation de vitesse est même au rendez-vous ! Malheureusement l’expérience de jeu donne moins le sentiment de voler que de celui de faire un voyage en avion. Ce n’est qu’en comparant avec d’autres jeux que j’ai pu déterminer ce qui manque à Skyward Sword : un sol.
Les phases de vol de Skyward Sword se déroulent exclusivement au-dessus d’une épaisse couche de nuage. Bien que l’on soit ensuite amené à voyager en dessous dans le jeu, ça sera toujours à pied. Les vols d’oiseaux se font donc dans des décors nuageux presque abstraits, où le ciel paraît infini. Faute de référentiel, on ne perçoit pas vraiment d’altitude. Monter ou descendre ne change que finalement notre position par rapport aux divers cailloux autours de nous. Le vertige est absent. Même en tombant, nous ne sommes que dans un espace en 3 dimensions sans gravité. Un espace qui paraît même étroit, pouvant se traverser en quelques minutes ! Celeste-bourg, seule île habitée du ciel, est toujours à portée de vue, nous donnant l’impression d’être cantonné à une aire de jeu dans sa périphérie (même si c’est un choix de level-design efficace pour orienter le joueur, encore utilisé dans les derniers Zelda). Le vol n’est alors plus qu’un moyen pour effectuer un déplacement entre un point A et un point B. Nous ne ressentons ni le voyage, ni le vol.
Si le vol dans Skyward Sword est aussi peu exploité, c’est aussi parce qu’il a été mis de côté (peut-être par contrainte). Dans la majeure partie du jeu, il ne sert que de transition entre deux zones. Les quelques scènes où il est mis en avant sont aussi rares que succinctes. Je ne suis même pas certain que le nom du destrier soit mentionné après l’introduction ! Pourtant en voyant les artworks du jeu, je me demande si Nintendo avait bien plus d’ambitions pour cette partie du jeu. Peut-être du vol sous les nuages, au-dessus des forêts que l’on avait l’habitude de parcourir à pied, permettant cette-fois) à Link de raser les collines puis prendre de l’altitude pour voir le monde d’en haut… Des sensations telles que celles procurées par Feather.
L’exploration du monde de Feather#
Feather est un jeu indé qui réunit tous les clichés du genre. Low-poly, contemplatif, aucun objectif… Feather nous propose simplement d’être un oiseau, et de voler au-dessus d’une île dans le simple but de l’explorer et apprécier son atmosphère. Il regorge de petits secrets, ses couleurs sont fantastiques, et y jouer est absolument apaisant.
C’est aussi le jeu auquel je pense en premier quand on parle d’expérience de vol ! L’oiseau que l’on contrôle se dirige aisément, offrant des déplacements vraiment satisfaisants. J’arrive à m’amuser juste en prenant de la hauteur, puis foncer en piqué vers le sol, et redresser au dernier moment pour frôler les arbres. Accompagné d’un sound-design efficace et de légers effets de particules, les sensations sont grisantes. En proposant une exploration d’une carte par les airs, Feather procure un immense sentiment de liberté. Les échelles ont ici du sens, allant des arbres et rochers lorsque l’on est près du sol, jusqu’aux rivières, collines et montagnes lorsqu’on s’élève. La présence de ce référentiel donne de la puissance à nos mouvements.
Cela étant dit, même si Feather sait procurer de la vitesse, c’est un jeu au rythme globalement lent. Une ballade paisible dans des décors bucoliques. Pour se pencher sur les frissons de la voltige, il nous faut un autre jeu…
La course sans fin d’Exo One#
Peut-on vraiment parler de vol dans Exo One ? Si l’on est pinailleur, on dira plutôt que l’on plane, ou qu’on tombe avec panache. Exo One est une sorte de runner où la plupart des niveaux se résument à foncer en ligne droite vers l’horizon. Il n’y a quasiment aucun obstacle, ni beaucoup de difficulté, on est libre d’avancer comme bon nous semble. Par la terre, ou par les airs. C’est finalement un jeu plutôt zen, où l’on profite des paysages grandioses, des nombreux effets visuels, et de la vitesse.
Exo One brille avant tout par sa physique. Notre avatar est une bille qui peut altérer son poids en devenant soit extrêmement lourde, soit aussi légère que l’air. Alterner entre ces deux modes permet de prendre de la vitesse, puis gagner de l’altitude en se propulsant. Le jeu demande constamment de trouver le bon équilibre pour aboutir aux meilleurs mouvements. S’alourdir dans une pente descendante pour accélérer, puis relâcher dans la montée, et se défaire de tout notre masse juste au moment de quitter le sol pour s’envoler au-dessus des nuages… Une fois maîtrisées, ces mécaniques sont extrêmement satisfaisantes !
Un aspect qui rend ce système particulièrement efficace en tant que mécanique de vol, c’est l’asymétrie entre la chute et l’ascension. Descendre est très rapide, et ne demande aucun effort. C’est la force naturelle de la gravité qui nous attire par défaut. Monter est en revanche plus lent et laborieux, et nécessite même d’utiliser la force d’une chute en amont. Le plaisir de voler réside là : dans le fait de défier les lois naturelles qui nous maintiennent normalement au sol, et laborieusement les détourner pour les amener à nous propulser vers le ciel. Voler, c’est s’aventurer dans une dimension qui nous est interdite !
Mais attendez, depuis le début de cet article je parle de haut et de bas… Que se passe t-il lorsqu’il n’y en a pas ?
Entre les parois d’InnerSpace#
Les espaces d’InnerSpace ont une particularité : ce sont des mondes inversés, où le sol encercle le ciel dans lequel nous volons. Un peu comme si nous visitions l’intérieur de planètes creuses ! Ça sonne perturbant, et ça l’est. Il est très difficile de s’orienter dans InnerSpace. On ne sait jamais vraiment où sont les pôles, on a du mal à reconnaître les points de repère, et on passe beaucoup de temps à cogner les murs. Mais c’est aussi ce qui fait son intérêt.
J’aime être dérouté. Perdre complètement les repères, ne plus savoir où sont les haut et le bas, et questionner en permanence mon sens de l’orientation, je trouve ça vraiment fun. Les espaces de InnerSpace sont déconcertants, apprendre à y naviguer est un des grands défis du jeu. Et en ce sens, InnerSpace propose un type de contrôle pour le vol que j’adore : en plus de pouvoir redresser ou plonger, ainsi que virer sur les côtés, on peut pivoter notre avion à l’aide des gâchettes ! Cela peut-être utile pour passer certains passages étroits, mais aussi pour prendre des virages plus serrés. C’est un mouvement un peu technique, que l’on retrouve dans peu de jeux, mais que je trouve jouissif ! Déjà parce qu’il permet une grande liberté de mouvement dans un espace 3D. Mais aussi parce qu’il participe grandement à la perte de repère : le sens que l’on donnait au paysage est transformé, les plafonds deviennent murs, etc… On peut observer un même décor sous différents angles, ce qui couplé à l’architecture dénuée de gravité d’InnerSpace, donne des vues incroyables !
Maintenant si on cherche absolument à voler dans un endroit où il n’y a ni de haut, ni de bas, il y en a un tout trouvé : l’espace.
Comment atterrir dans Outer Wilds#
Décidément, n’importe quel prétexte est bon pour en venir à Outer Wilds ! Peut-on en plus vraiment parler de vol, lorsqu’il s’agit de navigation dans l’espace à bord d’une fusée ? En fait il y a un détail plutôt intriguant dans l’espace d’Outer Wilds : il possède les mêmes caractéristiques que je reproche à Skyward Sword ! Le vol se fait dans un décor abstrait, constitué en majorité de vide rempli seulement par quelques petits cailloux, on orbite autour d’un point de repère toujours visible, et il se traverse très rapidement. Qu’y a t-il de différent avec Zelda, pour que les phases de vol d’Outer Wilds ne soient pas juste un pénible moment de transition ?
Peut-être pas grand chose, parce que le pilotage de Outer Wilds est sans doute la partie du jeu qui clive le plus ! Certains détestent, d’autres l’adorent… Pour pratiquement la même raison : le pilotage du vaisseau demande beaucoup de technique. De la navigation en zéro G, sans friction, où il faut prendre en compte la célérité du vaisseau, celle des planètes, notre vitesse relatives par rapport à elles, la force d’attraction… Les premiers vols se terminent très souvent par un crash (ça peut même être le cas tout le long du jeu). Voler dans Outer Wilds demande de l’entraînement et une certaine expertise. Et c’est ça qui le rend intéressant à mes yeux ! Le vol dans Outer Wilds n’est jamais une formalité, c’est une discipline qui s’intègre dans l’aspect simulation du jeu, et propose une forme de défi. Réussir à naviguer dans le système solaire et bien anticiper les alignements et décélérations autours de planète, ça demande presque de pousser une nouvelle branche dédiée dans notre cerveau ! Et la même chose pourrait être décrite pour la manipulation du jet-pack. Le vol d’Outer Wilds est présenté comme une pratique compliquée, qui demande de l’entraînement. Ce qui en fait une mécanique gratifiante.
Voilà donc ce qui différencie le vol d’Outer Wilds à celui de Skyward Sword. Mais puisqu’on est revenu à Zelda, il serait injuste de ne pas vanter les excellentes expériences de vol qu’il a lui aussi finalement su offrir. Vous savez tous ce qui est arrivé en 2023…
De retour en Hyrule#
Qu’il est agréable de voler dans Tears of the Kingdom ! Et cette fois-ci ce n’est plus au travers de « phases de vol », car il y a de multiples manières de s’aventurer dans les cieux. Certaines plus laborieuses que d’autres, mais toutes procurant le plaisir de contempler les somptueux paysages célestes d’Hyrule.
Et finalement ce vol aussi capture le même sentiment que tous les vols que l’on a vu dans ce tour d’horizon. Il y aurait encore d’autres jeux qui auraient pu être analysés. Pilotwings, Aer, Secret of Rætikon, Endlight… Et je n’ai même pas abordé la scène des simulateurs de vol ! Mais chacun de ses vols répond à un fantasme qui semble commun à tous. Peut-être parce que nous sommes durant toute notre existence soumis aux contraintes du sol, nous ne pouvons nous empêcher de rêver de nous en défaire. En quittant la terre pour partir explorer les périlleuses contrées du ciel, nous nous défaisons d’un joug universel, et devenons plus libres que jamais.